Museu Coleção Berardo Lisbonne - Portugal
Du 10 avril au 11 août 2019
Samedi 16 août 2019 / 16h >> dans le cadre du finissage de l’exposition, une conférence sera donnée par le commissaire, Éric Corne
La vie de Charlotte Salomon
Charlotte Salomon est née le 16 avril 1917 à Berlin. Son prénom est un hommage à sa tante qui s’est suicidée en 1913. Les Salomon, juifs aisés et assimilés, vivaient au 15, Wielandstrasse, dans le Kurfürstendamm. Charlotte a huit ans lorsque sa mère, Franziska, se suicide ; on lui fait croire qu’elle est morte de la grippe. Son père, Albert, chirurgien, est professeur extraordinaire à l’université de Berlin. Il se remarie avec la célèbre cantatrice Paula Lindberg qui introduit dans la famille Salomon ses amis et admirateurs, Albert Einstein, Erich Mendelssohn, Max Liebermann… Charlotte est fascinée par Paula et lui voue un amour fusionnel, voire exclusif. En 1933, Hitler et les nazis arrivent au pouvoir, et avec eux l’antisémitisme d’État et les restrictions imposées à la communauté juive. Albert se voit retirer sa licence d’enseignement et doit exercer la médecine dans un hôpital juif, Paula se fait huer dans les concerts. Kurt Baumann et Kurt Singer (neurologue, musicien et ami de Paula Lindberg) fondent le Kulturbund Deutscher Juden (Association culturelle des juifs allemands), pour permettre aux artistes juifs de continuer à créer, à s’exprimer. Ils obtiennent l’accord de Hans Hinckel, responsable du théâtre prussien, et de Hermann Goering, ministre de la Prusse. Paula Lindberg donne de nombreux récitals dans le cadre du Kulturbund.
La première année, l’association organise 57 représentations théâtrales, 77 conférences, 61 concerts. Charlotte Salomon est assidue aux événements du Kulturbund. Elle assiste probablement aux conférences d’Anneliese Landau, où musique et projections sont associées. Ce lieu a été formateur pour la jeune fille. Dans le même temps l’antisémitisme devient le ciment de la nation allemande. Dans les écoles, les enfants juifs sont maltraités, agressés, vilipendés, et Charlotte décide de quitter le lycée. Elle suit alors les cours de dessin d’une académie de mode, puis, en 1936, est acceptée à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin bien que juive, car son père est reconnu comme ancien combattant.
Elle rencontre Alfred Wolfsohn lorsqu’il est engagé comme professeur de chant de Paula Lindberg. Après une expérience traumatisante durant la Première Guerre mondiale, il a développé des théories sur la voix humaine, en mesure d’exprimer toutes les émotions, et sur le lien entre la vie et l’art. Alfred Wolfsohn exerce une forte influence sur la jeune fille, dont il a probablement été le premier amour (rêvé, fantasmé ?), mais avant tout il joue vis-à-vis d’elle le rôle de guide spirituel et artistique. À l’Académie, avec son œuvre La Jeune Fille et la Mort, Charlotte Salomon obtient le premier prix d’un concours sur le conte, mais, étant juive, le prix ne lui sera pas remis et elle décide d’abandonner l’école.
En 1938, après la « nuit de cristal », alors que la violence et la folie meurtrière des nazis s’accentuent envers les juifs, Albert Salomon est déporté au camp de concentration de Sachsenhausen, d’où Paula Lindberg le fait sortir grâce à son réseau d’influence.
Charlotte Salomon fuit l’Allemagne et les persécutions nazies début 1939, à l’âge de vingt et un ans. Elle rejoint dans le sud de la France ses grands-parents, Ludwig et Marianne Grunwald, qui s’y sont réfugiés auparavant. Alfred Wolfsohn l’accompagne à la gare avec sa famille. Les grands- parents de Charlotte sont hébergés à Villefranche-sur-Mer, dans la villa d’Ottilie Moore, L’Ermitage, qui accueille des réfugiés de différentes nationalités. Ottilie Moore, d’origine allemande et veuve d’un officier américain, encourage la jeune femme à peindre. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale pousse la grand-mère de Charlotte au suicide. Malgré la vigilance de sa petite-fille, sous ses yeux, elle se jette par la fenêtre, réitérant le geste de sa fille Franziska. Lors de cette tragédie, Charlotte apprend de son grand-père que presque tous les membres de sa famille, y compris sa mère et sa tante, se sont suicidés. Elle est l’unique survivante.
En juin 1940, Charlotte et son grand-père sont internés au camp de Gurs, dans les Pyrénées ; elle est considérée comme « indésirable », car juive et étrangère. Cependant, en raison de l’âge de son grand-père, ils sont libérés un mois plus tard. Dans son œuvre, Charlotte Salomon n’évoque jamais ce camp où les conditions de vie étaient terribles (hygiène, violence…). Très éprouvée de retour à Nice, alors en zone italienne, elle consulte un ami d’Ottilie Moore, le Dr Moridis, qui lui conseille de se consacrer totalement à son travail artistique.
Afin d’éviter un destin similaire aux membres de sa famille, elle décide alors de créer quelque chose de vraiment fou et singulier. Entre 1940 et 1942, elle réalisera plus de 1 300 gouaches, dont les 769 qu’elle sélectionnera pour Vie ? ou Théâtre ? Importunée par son grand-père, elle loue une petite chambre à l’hôtel Belle Aurore à Saint-Jean-Cap-Ferrat. En 1942, quand elle termine son œuvre, elle la dédie à Ottilie Moore, qui part pour l’Amérique, en emmenant tous les enfants réfugiés qu’elle a accueillis. Charlotte reste à la villa avec Alexander Nagler, un réfugié juif autrichien. Après la mort de son grand-père Grunwald, elle se marie avec Alexander. Consciente de la précarité de leur situation, elle confie le précieux carton qui contient les gouaches au Dr Moridis avec ces mots : c’est toute ma vie. Les Allemands ayant succédé aux occupants italiens, la Gestapo aux ordres d’Alois Brunner arrête le couple à L’Ermitage.
Tous deux sont déportés à Auschwitz via Drancy. Le 12 octobre 1943, Charlotte Salomon, enceinte de cinq mois, est immédiatement assassinée. Alexander Nagler mourra d’épuisement quelques mois plus tard.
En 1947, Paula et Albert Salomon, qui ont survécu après s’être réfugiés aux Pays-Bas, se rendent à Villefranche-sur-Mer, où Ottilie Moore, de retour des États-Unis, leur transmet Vie ? ou Théâtre ?. À la suite des expositions organisées en Hollande, dès 1961, puis en Allemagne, sur les conseils du père d’Anne Frank, ils confient l’œuvre au Joods Historisch Museum d’Amsterdam en 1971.