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Galerie Patricia Dorfmann 61 Rue de la Verrerie, 75004 Paris

Du 29 août au 19 septembre 2020

LE RÉALISME DES ANGES Vol.2 - Éric Corne

« M. Delacroix fait des anges. Je ne vois pas ce que c’est que des anges. Vous ? Moi je n’en ai jamais vu. Comment voulez-vous que je juge une forme qui représente un être imaginaire ? », disait Courbet.

Éric Corne cite lui-même ces mots à propos de ses derniers tableaux, de ses anges, plus réels que nos réalités virtuelles. Et pourtant, ces images sont toujours des dialogues de la peinture avec la peinture. Elles fourmillent d’images, de cartes postales de Piero Della Francesca tombées par terre, de tableaux au murs, de fenêtres ouvertes ou bien fermées et mêmes d’images cachées dans des rochers ou dans des arbres. Il y a même un tableau auquel une jeune fille apporte des fleurs, et qui se confond avec la mer, comme dans une peinture de Charlotte Salomon où une jeune fille assise sur une plage peint la mer sur une feuille transparente (« Leben oder Theater »). Ce sont des messages à la fois limpides et cryptés. « Plus qu’un sens religieux, chrétien ou juif c’est l’expérience de l’inconnu (les Mystères) que je poursuis, avec celui de la peinture qui en a toujours épousé ses contours. », dit-il. Ici et là, sont aussi abandonnés des masques de théâtre qui disent le faux et le vrai à la fois. Ces représentations sont comme des conversations. Eric Corne parle même de conversions – à la peinture ? D’ailleurs ses personnages seraient-ils tous un peu des anges ? Pas des anges avec des ailes et des boucles blondes – quoi qu’il en peigne aussi parfois – plutôt des anges de tous les jours, semblables à ceux que Wim Wenders a filmés dans le Berlin des années 80, des initiés, comme cette femme dont la tête saigne d’avoir été traversée par la croissance d’une branche, par le passage du temps. Elle est un ange exilé, messager, intercesseur. « C’est ce qui me touche tant chez Charlotte Salomon et Marc Chagall : l’exil avec l’Ange nécessaire face à l’implacable destin. », ajoute-t-il. Ces personnages sont tous aussi un peu acrobates, en suspens dans les airs, à l’image de ces amoureux que l’on aperçoit derrière une maison, ou de cet autre couple sur un toit, elle la tête en bas, ou encore de ces nageurs qui sautent d’une falaise au-dessus de la mer dans la fraîcheur d’un monde nouveau. Ils rappellent les tableaux de Chagall alors qu’il tombait amoureux de Bella. Un ange apparaît aussi dans la grande crucifixion inspirée de Poussin : il entoure de ses bras les parents de Marie. La source de cette scène vient d’un tableau de Nicolas Dipre, « La rencontre d’Anne et de Joachim à la Porte Dorée », dont l’un est à Carpentras et l’autre au Louvre où Chagall l’avait probablement vu, avant de le reprendre dans « Le Mariage ».

Dans chacune des œuvres de l’exposition, des bouquets de fleurs apparaissent ici et là, parfois en très gros ou bien en miniature. Ils sont une forme d’élévation, de mouvement vers les nuages, vers ces lumières méditerranéennes, ces mondes qui s’entrouvrent à l’horizon, entre le ciel et la mer. Mais ce n’est pas tout, les arbres sont aussi comme des échelles de Jacob, avec des feuilles, parfois même des feuillages entiers, en forme de cœur. Le mouvement de la végétation passe même d’une toile à l’autre à travers ces feuilles que l’on reconnaît. Dans la réalité, le modèle qui les a inspirés est une plante posée sur une étagère dans l’atelier, quotidiennement contemplée. C’est une porte d’entrée dans le monde des rêves, au moment où l’on s’endort. Et puis toujours revient aussi le chien-fleur noir et blanc, Anthéa (étymologiquement, la fleur), image de la fidélité et de l’éternité parfois, le chien qui est toujours passeur. Les mondes d’Eric Corne sont peuplés d’un bestiaire essentiel. Chez lui, les annonces faites à Marie sont portées par des tourterelles, symboles à la fois de l’Orient et de l’Occident. Elles volent, ou sont peintes en cage, et puis ensuite libérées. Ces moments différents montrés dans une même image comme au Moyen-Âge créent dans les tableaux des récits extraordinaires. Il faut dire qu’Eric Corne est un lecteur et lui aussi un passeur. Il peint des livres qui ressemblent à des tentes, à moins que ce ne soit l’inverse, et des tentes qui prennent feu, sous le combat de Jacob avec l’ange – encore. Pour lui, cette image dit tout le mystère de la peinture. Ses maisons ont parfois curieuse allure, comme des jouets pour enfants, par exemple une maison moderniste, blanche aux fenêtres multicolores, qui dénote furieusement avec le paysage sauvage, suspendue à une plateforme en haut d’un rocher, ou bien des barres d’immeubles vacillants comme des dominos en train de tomber, qui disent les tremblements de la modernité. Un autre tableau montre une maison en ruine, dont une femme traverse le toit pour rejoindre un homme debout. A l’arrière-plan dans les arbres, apparaît une autre maison, pimpante cette fois : c’est probablement la même, dédoublée. Eric Corne parle d’« ubiquité du regard ». Toutes sont des maisons mentales, des images qui lui viennent et qu’il transcrit directement sur la toile, comme cet intérieur où l’on voit un ange de bois, petite sculpture populaire de sa collection, les bras ouverts.

Texte de l’exposition : Anaël Pigeat
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